Sortir les rames

La reprise est compliquée.

Il y a les petites choses. Se rapproprier l’espace, réinstaller les choses à la place où elles tomberont sous ma main sans que j’ai a regarder, découvrir les petites « surprises » laissées par ma remplaçante, les encaisser, y remédier, fouiller sa mémoire, devoir demander, se répéter, je ne sais pas, je n’étais pas là.

Et il y a le reste.

Se séparer de Popcorn. Ressentir majoritairement du soulagement, largement, du plaisir à retrouver autre chose. Culpabiliser de ne pas trouver cela plus dur, de ne rien se sentir arracher. Souffrir plutôt du manque de qualité du temps passer ensemble. Cette sensation qu’on ne me laisse pas toujours le temps et l’espace d’aimer ce bébé autant que j’en suis capable.

Surtout son frère.

Je commence à m’inquiéter de cette jalousie et surtout de son pendant, cette absence de complicité, ce regard de Peanuts sur Popcorn, et l’apparition de pointes de méchanceté. Je sais que tout cela s’explique, qu’il y a tant de naturel, mais je m’interroge : et s’il ne l’aimait pas, jamais, que rien ne naisse entre eux ? Je ne sais pas si je m’y prends bien, si on choisit au mieux. Plus on limite l’impact des besoins de Popcorn sur la vie de son ainé, plus celui-ci en demande. Je connais la valeur des jamais et des toujours d’un enfant de cinq ans moins le quart mais ça n’allège pas tant ses reproches…

Il y a eu la gastro qui s’est installée chez nous, l’implication de ma belle-mère pour aller libérer Peanuts de sa journée d’école, puis pour le garder le lendemain. Donc ces deux soirs où elle était là quand je suis rentrée, tardant, trainant, prolongeant le temps passé avec ses petits enfants. Chez moi. Comme ça, là, à peine la reprise. Déjà malades, déjà à demander de l’aide.

Et puis il y a cette nouvelle Direction au Petit Collège de la Rive Droite du Fleuve Sans Eau. Chef et Adjoint, un binôme qui s’installe, et déjà la salle de profs qui grince, grogne, gronde. A raison, pour l’essentiel. Et il y a ces échos, échos, échos, avec une autre reprise, après une autre naissance, avec une autre nouvelle Direction, et tant de semblances, jusque dans les éléments de langage. L’année qui a suivi, j’en garde à la fois des douleurs souvenirs vives et une sensation de flou général car traversée dans l’épuisement.

J’ai eu un moment de peur au ventre, la vraie, parce que je n’ai pas la ressource pour revivre cette année-là. Parce que je sais que le dénouement professionnel qu’elle a eu ne se renouvellera pas. Parce que je sais que sur le plan personnel, avec deux enfants ce sera deux fois plus compliqué. Je ne peux pas, je m’effondrerais.

Puis j’ai discuté avec quelqu’un de bien, collègue, amie, et j’ai décidé que je ne me laisserai pas prendre par la tempête que soulève les collègues. Elle a tout simplement rappelé que notre priorité reste les élèves. Qu’on bosse pour elleux, pour mettre de la qualité dans nos enseignements, de l’humain dans notre pédagogie, que c’est pour elleux qu’on mène nos projets, préparons nos cours, et tout le reste. Alors je ne vais pas perdre ça de vue. Je vais accepter qu’avec cette Direction, ce sera sans doute moins simple, plus difficile, qu’avec d’autres mais je vais garder en ligne de mire que je travaille pour faire, pour mes élèves, du mieux que je peux avec les moyens qu’on me donne. Je vais aussi me rappeler ce que les amies racontent, en particulier sur Twitter, de leurs Direction à elles, parce que, sans accepter tout et n’importe quoi, ça a bon de relativiser. Et je vais refuser d’entrer dans ce flot qu’on alimentait sans cesse, chaque récréation, chaque pause déjeuner, à lister, reprendre, répéter tout ce qui n’allait pas, mettre systématiquement en avant les problèmes et oublier, oublier tout ce qui était positif dans nos journées. Quitte à fuir s’il le faut un peu la salle des professeurs.

Et je vais traverser cette année. Mon année scolaire, celle de Peanuts, l’année de crèche de Popcorn, cette année. Je vais la traverser et l’été prochain arrivera.